Lundi après-midi 11 novembre
Visite de D... Il a lu avec un grand intérêt mon bouquin et s'est adressé à la maison d'édition pour entrer en contact. Beaucoup de points communs. Enfance catho-catho tout comme moi. Envie de devenir prêtre. Cursus classique et deux années de ministère. A 30 ans il tombe amoureux de C, 19 ans, qui collabore à l'animation religieuse du collège dont il est l'aumônier. Il sent que c'est réciproque. Contrairement à moi c'est lui qui ose déclarer sa flamme. Ils vont se marier et auront trois enfants... et la question de la répercussion de ce bouleversement du destin sur sa foi arrive vite dans notre échange.
Contrairement à moi, il a pris ses distances avec l'Eglise établie, mais il a gardé des relations amicales avec ses anciens confrères. S'il pratique encore occasionnellement - mariages ou funérailles - il dit n'avoir plus la foi à proprement parler, toutefois il a gardé le sentiment d'une transcendance qui nous dépasse. Concrètement, ses choix de vie sont toujours guidés par le sens des autres, un humanisme qui reste marqué par la morale évangélique dans notre occident façonné par le christianisme. Très heureux de vivre, et en paix avec lui-même selon toute apparence.
Dimanche soir 17 novembre
Mon amie, ma fille de cœur à vrai dire, a préparé et dirigé le culte ce matin et assuré la prédication. Comme chaque soir nous échangeons par sms nos impressions sur la journée écoulée. Je transcris l'essentiel de ces messages en langage clair, laissant de côté les abréviations inhérentes à ce type de communication.
Moi – Comme d'habitude j'ai beaucoup apprécié la liturgie que tu as préparée et la place des chants, mais je t'ai sentie moins à l'aise avec l'évangile du jour (Luc 21, 5-19). Après-midi calme. Je t'embrasse et te souhaite une bonne soirée et une bonne nuit.
Elle - Bonsoir padre, c'est possible... Je suis de moins en moins convaincue par la messianité de Jésus. Difficile d'être convaincante quand on n'est pas convaincue... J'ai fait ce que j'ai pu tout en étant fatiguée. Bisous bisous, dors bien daddy ! Je t'aime.
Moi - C'est vrai que plus on avance dans la réflexion moins on a de certitudes sur la personne de Jésus et plus on se pose de questions sur le passage de l'attachement des disciples à Jésus dans les évangiles, à la foi au Christ dans les lettres de Paul.... Un véritable hiatus... et que dire de la résurrection et des apparitions ? Je suis en plein questionnement... Bises.
Elle - Toi aussi daddy... ? La remise en question n'est pas confortable. Néanmoins peut-on l'éviter ? Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser. Je maintiens comme ce matin que notre capacité à aimer est le projet d'humanisation de Dieu pour le monde L'amour pour tout être vivant d'ailleurs. Et je t'aime bon padre !
Que penser de tout cela ?
Par définition, la vie n'est jamais figée. Elle est toujours en évolution. C'est aussi vrai pour la foi. Dans la foi juive et chrétienne, le Dieu créateur nous a fait intelligents et libres, et faits pour aimer. Là est l'essentiel de ce que nous sommes appelés à être et à vivre. Si nous croyons en lui, de cette foi que nous sentons enracinée en nous, dans nos gènes, inébranlable au-delà de tous nos questionnements et malgré les objections de notre raison, alors notre vie se déroule en conformité avec son désir créateur. Certes, nous naviguons en eaux parfois calmes et parfois agitées. Des écueils nous guettent, qui peuvent être des dogmes, ou des définitions dites ''théologiques'' – mais qui peut prétendre connaître Dieu et l'enfermer sous un nom ou dans une formule ? Il y a le poids des traditions, de notre éducation religieuse, l'histoire de notre passé et de nos évolutions en matière de foi... Mais toujours nous poursuivons notre route, avec courage et sincérité, en vérité avec les autres et avec nous-mêmes, et en vérité avec ce Dieu auquel nous croyons profondément et à qui nous aspirons en fin de compte.
Augustin d'Hippone a dit, et cela traduit mon sentiment profond : « Tu nous as faits pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi. » Fecisti nos ad te. Littéralement: tu nous as faits vers toi.