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Les colleuses

Avant-hier soir, en regardant la télé, j'ai découvert une pépite. Ayant été trop occupé depuis je n'ai pu en rendre compte avant ce matin à l'aube, mais cela m'a trotté dans la tête et m'a paru devoir prendre place parmi mes réflexions sur mon blog. De quoi s'agit-il précisément ? Le reportage met en scène deux adolescentes qui s'affairent à dessiner de grandes lettres majuscules noires sur des feuilles de papier 21x29,7. J'utilise mon ancienne dénomination, maintenant on dit plutôt ''format A4'' me semble-t-il. Une ficelle est tendue d'un mur à l'autre dans le local où elles se trouvent. Le dessin des lettres achevé, les feuilles sont accrochées sur ce fil à l'aide de pinces à linge afin de bien sécher.

On nous présente le but de l'opération. Il s'agit de réaliser le plus grand nombre possible de lettres. Collées côte à côte sur un grand mur dans la rue elles vont former des noms. Ce sont les noms de femmes qui ont succombé sous les coups d'hommes violents, maris ou ex-compagnons notamment. Leur calvaire est souvent passé inaperçu dans l'indifférence générale, parfois mis en lumière mais bien vite oublié. Trop c'est trop ! Ces jeunes filles, par des opérations coup de poing, étalent leurs noms en grandes lettres noires, au vu et au su de tous, pour qu'ils nous sautent à la figure et que nul n'en ignore.

Le reportage se poursuit. Dans l'obscurité d'un soir tombant, une rue déserte et un mur jaune paille, haut et long recouvert de prénoms. VANESSA, FATIMA, LISA, ALINE et autres LAETITIA apparaissent à nos yeux, entourées de toute une troupe de jeunes femmes armées de seaux de colle et de balais à long manche pour fixer les lettres sur le support mural. L'une d'elles, interviewée, explique qu'au début elles collaient à deux ou trois, mais cela s'était révélé dangereux car elles étaient prises à partie par des passants violents - des passants bien sûr et non des passantes -, qui les injuriaient et parfois même les bousculaient. Elles s'étaient donc organisées. En troupe elles étaient moins vulnérables. La jeune femme plaisantait : « Des fois on fait appel aux flics pour nous protéger. C'est un comble, on demande aux forces de l'ordre de nous protéger alors qu'on commet une action illégale ! » En effet le collage sauvage d'affiches sur la voie publique est un délit susceptible de faire l'objet de poursuite !

Ce reportage m'a fait chaud au cœur. Il m'a rappelé les actions des jeunes, gars et filles de la JOC, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne que j'accompagnais dans les années 60. Ils s'adonnaient régulièrement à de telles opérations de collages pour faire connaître leurs revendications et les temps forts de leur Mouvement. Cependant l'époque était moins violente et ils n'essuyaient au pire que des quolibets. L'action de ces filles, soixante ans plus tard, me remet en mémoire ce compagnonnage de jeunes encore scolarisés ou déjà au travail, qui exprimaient ainsi leurs doléances sur la voie publique au risque de se voir emmener au poste. Oser est l'apanage de la jeunesse. Greta Thunberg sur les problèmes de l'environnement en est un bel exemple !

Cependant, pour les jeunes de nos jours, le risque est plus grand et ne vient pas tant de la force publique que des concitoyens hostiles à ce relèvement de nos compagnes, des jeunes qui plus est, qui redressent la tête et dénoncent haut et fort les exactions qu'elles et leurs sœurs plus âgées subissent jusqu'à la mort sous les coups pour certaines. J'admire leur dignité, leur force, leur courage et la joie qu'elles puisent dans l'action en faisant ainsi face à l'indifférence ambiante. On peut prendre ses distances avec les mouvements femen, me-too ou dénonce-ton-porc, mais il ne faut pas oublier que toute révolte d'opprimés entraîne nécessairement des excès, mais que ce sont ces excès même qui forcent l'attention et amènent à réfléchir, échanger et pourquoi pas se mobiliser pour leur cause.

Chapeau les filles ! Vieux bonhomme de 84 ans je ne puis m'associer à leur action. Au moins puis-je, m'en faire l'écho sur mon blog et sur Facebook, leur servir de caisse de résonnance à mon humble niveau. N'oublions pas, c'est aussi un vieux bonhomme, Stéphane Hessel, qui a lancé ce cri d'alarme il y a quelques années : INDIGNEZ-VOUS ! Puisse-t-il être entendu !

 

 

 

 

 

 

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