Surprise hier matin, Denise, ma belle-sœur qui tient un gîte en Normandie, me demande si je peux héberger pour la nuit une touriste néerlandaise de retour chez elle après un séjour en Bretagne. J'accepte avec joie, toujours heureux de rencontrer d'autres personnes qui viennent rompre mon train-train quotidien. Elle pourra dormir dans le chalet installé au fond de la pelouse, derrière le sorbier et je ferai ainsi l'expérience d'offrir un B&B (Bed and Breakfast), offrir, car je n'ai nullement l'intention d'en recevoir une quelconque rétribution. Marianne, puisque c'est ainsi qu'elle se nomme, ne sera pas une cliente mais une invitée.
Durant la journée je prends ma canne, un masque et le bus pour faire quelques emplettes en vue du dîner et du petit déjeuner. Vers 16 h je prépare le repas, une purée succulente aux pommes de terre nouvelles, aux œufs et à l'emmental râpé, avec une touche de curcuma, de poivre et de sel, garnie de petits cubes de fromage orangé et de tomates cerise bien rouges disposés en cercles concentriques, un saladier de mâche assaisonnée et une omelette baveuse avec un filet de lait et du fromage râpé, attendant la cuisson de dernière minute, comme dessert des liégeois au chocolat, et pour arroser le tout une bonne bouteille de bourgueil car elle savoure un verre de rouge en mangeant m'a dit Denise. Everything's ready !
Coup de sonnette vers 18h15. ''Hi, I'm Marianne ! - Welcome, come in, please !'' C'est une jeune femme souriante qui se présente à mon fils et à moi. Un peu d'embarras pour se comprendre au début. Elle parle anglais couramment, mais j'ai beaucoup perdu depuis mes séjours en Angleterre au début des années 60, il y a quand même déjà soixante ans ! Je la mène au chalet que j'ai pris soin d'aérer dans la journée et elle y dépose ses bagages pour la nuit. En début de soirée on prend l'apéritif sur la terrasse et elle goûte et apprécie le bourgueil. J'incite François à sortir un grand classeur avec un assortiment de ses dessins. Elle est admirative et impressionnée. Denise lui avait parlé de moi et de mon parcours et elle m'a montré sur son portable une photo de la couverture de mon livre qu'elle avait vue et prise en Normandie.
Nos échanges sont encore un peu cahotiques. Elle avait retenu dans un resto mais quand je lui ai montré mes préparations, elle est restée sans hésiter pour le repas, toujours sur la terrasse, ne s'attendant pas à un tel accueil. Marianne a particulièrement savouré ma purée dont elle s'est largement servie et resservie, ainsi d'ailleurs que du bourgueil ! Et nous sommes restés à bavarder jusque 21 h avant de nous séparer pout la nuit.
Le lendemain elle a fait son apparition vers 8 h, bien reposée et ravie de cette nuit dans ce beau chalet en bois de pins. François était déjà parti au travail. En déjeunant à la fraîche sur la terrasse, elle a noté en souriant que je trempais mon croissant dans mon bol de café : ''C'est français !'' m'a-t-elle dit. Puis nous avons continué à bavarder avec plus d'aisance de ma part que la veille et j'ai été surpris de la confiance qu'elle manifestait en me partageant un peu, beaucoup même, de sa vie et en me montrant sur son portable des photos de ses parents, de ses deux frères aînés, de son ami avec ses fils, de sa maison et de son jardin verdoyant dans les faubourgs de Rotterdam.
Allant plus loin encore elle m'a dit son âge sans que je ne lui pose la question bien entendu, 47 ans, deux ans de plus que mon fils aîné. Elle m'a aussi confié son parcours sentimental, une première union qui n'a pas duré, ils s'aimaient mais sans plus, sans vraie passion amoureuse chez lui, et ils étaient diamétralement opposés quant à la conception de la vie, le goût des voyages et les loisirs. Ils se sont séparés sans drame et sont restés bons amis. Depuis trois mois elle a fait une seconde rencontre qui la satisfait pleinement, un enseignant seul avec ses deux fils de 12 et 16 ans. Ils sont allés en vacances en Bretagne mais elle a dû rentrer avant eux pour reprendre son travail. Elle est comptable. Elle m'a ainsi confié beaucoup d'elle-même sans que je ne lui pose la moindre question, ni pour l'interroger, ni pour lui faire préciser tel ou tel détail : simple magie d'un accueil chaleureux et d'un regard bienveillant...
Au moment de partir, Bernadette, la voisine qui entretient le terrain, s'est présentée à la porte. Marianne en a profité pour lui demander de nous prendre tous deux en photo, assis sur le muret qui sépare les deux pelouses. Elle avait déjà pris plusieurs photos de mon fils et moi hier soir, ainsi que du repas préparé, mais elle voulait conserver une image familière de nous deux avec en fond de décor, le terrain planté d'arbustes par Cécile, ma défunte épouse, et dominé par le majestueux sorbier devant le chalet accueillant. Nous avons échangé nos adresses mail et postales pour rester en contact et je lui ai offert mon livre ''Le chèvrefeuille et le coudrier''. De son côté elle m'a laissé une bouteille de cidre de Normandie qu'elle pensait ramener chez elle.
Sur le pas de la porte, elle m'a dit au revoir sans nous toucher, très formellement, covid19 oblige, son bagage à la main. Mais tout soudain elle l'a lâché et s'est littéralement jetée dans mes bras, m'étreignant fortement, la tête sur mon épaule, pour un bref et chaleureux câlin plein d'émotion de part et d'autre. Sur ce, elle a bravement repris son grand sac et elle s'est éloignée sur le trottoir pour regagner sa voiture à une centaine de mètres de là. Sans cesse elle se retournait pour agiter le bras alors que je la regardais de loin en faisant de même, et encore au moment d'ouvrir sa portière. Un grand coup d'avertisseur quand elle s'est engagée sur la chaussée puis elle a disparu au rond-point.
Elle est arrivée chez elle vers 16 h et m'a adressé en français un court mail de reconnaissance auquel j'ai moi-même répondu en anglais pour lui dire mon bonheur de cette rencontre. Marianne du plat pays, une nouvelle tranche de vie, un soleil de plus dans mon existence. La vie est bien belle !