Voici la réponse que je me suis efforcé de donner honnêtement à une amie d'un âge avancé, qui m'interrogeait sur le contenu de ma foi. Il lui semblait que la ''doctrine chrétienne'' à laquelle je me référais selon elle et que j'étais censé enseigner dans mes prédications, pouvait être en contradiction avec ce qui transparaissait dans nos échanges, au téléphone ou par courriels. Je me suis donc vu dans l'obligation de lui préciser ma pensée. Je reproduis cette longue réponse en l'expurgeant des références plus personnelles au passé et à la situation propre de cette amie.
Chère amie, décidément, le réveil provoqué par la lecture des témoignages des compagnes de prêtres et entretenu depuis par nos échanges, me pousse dans mes derniers retranchements ! A tel point que j'ai décidé d'ouvrir un blog intitulé ''Croire ou pas...''. Cela dit, comme je te l'ai promis, je vais tenter de faire le point sur ma foi chrétienne actuelle. Je préfère parler de foi plutôt que de doctrine. Il s'agit de foi, au sens où c'est une démarche de confiance et non une certitude. Jusqu'à preuve du contraire, si tant est que l'on puisse parler de preuve en la matière, je fais confiance à l'évangile de Jésus de Nazareth dans le cadre du ''Sola Scriptura'' du protestantisme. Ma foi n'est donc pas basée sur les dogmes issus de conciles convoqués, présidés et programmés par des empereurs romains ou plus tard par l'Eglise Catholique Romaine. Elle est fondée sur les textes bibliques, scrutés suivant la méthode historico-critique, applicable à tout écrit, religieux ou non, pour en dégager l'intention de l'auteur. En l'occurrence, s'agissant de la bible, afin d'en dégager le message pour notre temps.
Exit donc les dogmes, et notamment la ''Sainte Trinité''. Mais je retiens le Dieu unique du monothéisme juif, un Dieu présenté par Jésus comme notre Père à tous, image calquée sur celle d'un père idéal comme peu d'hommes et de femmes en connaissent sur terre. Ce Dieu est un Dieu d'amour, c'est même ce qui le définit (''Dieu est Amour'' – lettre de Jean au chapitre 4 verset 16), sur le modèle idéalisée à l'extrême d'un père humain (cf la parabole du fils prodigue dans l'évangile de Luc au chapitre 15, versets 11 à 32) ou d'une mère (''Une mère oublierait-elle son enfant ? Même si elle l'oubliait moi je ne t'oublierai jamais'' livre du prophète Esaïe chapitre 49, verset 15), ou d'un époux (sur les indications de Dieu, le prophète Osée épouse une prostituée sacrée qui lui donne des enfants avant d'aller vers d'autres hommes, Dieu lui demande de la reprendre quand elle revient à lui, et cela autant de fois qu'il le faut, image de l'amour inconditionnel de Dieu pour son peuple – livre d'Osée chapitres 1 et 3). Je crois donc en un seul Dieu, un Dieu unique, un Dieu d'amour inconditionnel, un Dieu d'amour absolu.
Quant à Jésus de Nazareth, c'est pour moi un juif de Galilée, croyant sincère et authentique, qui, dans la ligne des prophètes anciens, prônait la compassion, l'amour d'autrui, et la justice, et relativisait les rites religieux (''le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat'' – évangile de Marc au chapitre 2 verset 27). Il est de nature humaine, né, selon la loi naturelle, d'un spermatozoïde et d'un ovule comme tout un chacun, à Nazareth, d'un père artisan charpentier et d'une mère au foyer, aîné d'une fratrie de cinq garçons et d'au moins deux filles, (cf l'évangile de Marc au chapitre 6 verset 3), n'en déplaise à la doctrine catholique qui prône la virginité de sa mère avant sa conception, pendant et après (mystère de l'incarnation divine ''par l'opération du Saint-Esprit'') Il y a vécu jusqu'à l'âge adulte, reprenant l'atelier de son père. Puis il a quitté sa famille et sa profession. Comme bien des prophètes avant lui, il s'est mis à parcourir son pays, la Galilée, de long en large, avec quelques incursions en Judée, en Samarie, et dans les contrées limitrophes ,à la rencontre des gens, enseignant une religion du cœur et de l'esprit, libérée des contraintes rituelles du judaïsme. Un trublion et un fauteur de troubles pour les autorités de tous bords, comme d'autres avant lui.
Il n'a pas été ''sacrifié'' par une quelconque volonté divine à laquelle il aurait souscrit. Quand il prononce avant d'être arrêté, condamné et crucifié, ces paroles : ''Père que ta volonté soit faite'' (évangile de Luc chapitre 22 verset 42), cela ne veut pas nécessairement dire que son Père a voulu qu'il meure en croix, mais Jésus accepte cette éventualité comme une conséquence de sa fidélité à la mission qui lui a été confiée, ou dont il s'est cru investi (mystère des vocations prophétiques) en dépit des pressions et des menaces. De fait, il a été arrêté et condamné à la suite d'un procès politique inique, instrumentalisé par les responsables religieux et par l'occupant romain, sous des prétextes fallacieux, à cause de ses idées révolutionnaires et dérangeantes bien que non violentes (rien de nouveau sous le soleil, cf toutes les manifestations pacifiques réprimées dans le sang un peu partout dans le monde encore actuellement, et la chanson de Guy Béart ''le premier qui dit la vérité il doit être exécuté'').
Sa ''résurrection'' est pour moi symbolique, mais c'est à creuser.. L'extraordinaire est que contrairement à tous les ''messies'' qui l'ont précédé, et il y en a eu pas mal, dont un autre Jésus, ses disciples lui ont emboîté le pas après sa mort et ont diffusé sa conception de la foi et de la religion dans tout le bassin méditerranéen. A l'image de leur maître, ils ont subi persécutions et mises à mort plutôt que de renoncer à propager ses enseignements. Ainsi il a continué à vivre à travers eux et jusqu'à nos jours. Je crois donc en Jésus, le porte-parole et le plus parfait exemple de ce que Dieu attend de chacun d'entre nous.
Pour ce qui est de l''Esprit Saint'', il n'a pour moi aucune existence propre qui serait distincte de celle du Père et du Fils. Quand j'en parle je dis : l'Esprit du Père. L'esprit divin qui a animé Jésus, le ''fils bien-aimé'' choisi et adopté et non pas ''engendré'' par le Père. L'esprit de vie auquel nous nous référons nous-mêmes dans notre relation au Père et à nos frères. Je crois donc que l'esprit de Dieu nous éclaire mystérieusement et nous fortifie dans notre vie de tous les jours pour nous dépasser nous-mêmes et être en conformité avec ce qu'il attend de nous : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. (évangile de Luc au chapitre 10 versets 26 et 27)
Cette question de l'Esprit Saint est liée à celle de l'inspiration. Elle sous-tend bien des initiatives ou des prises de position face à des contradicteurs. Cécile, mon épouse décédée m'a dit plus d'une fois avoir eu le sentiment d'être ''inspirée'' dans des réponses données ou des décisions prises dans sa mission de catéchiste et de formatrice. Moi-même avant de rédiger une prédication je me sens souvent vide et ne sachant que dire sur le texte proposé par la liturgie, puis soudain, souvent dans un demi-sommeil au réveil mais après avoir scruté les textes la veille, le déclic se fait et je me mets à rédiger du premier jet. Ensuite je n'ai plus qu'à peaufiner la prédication. Avant de la délivrer au temple le dimanche, je me demande encore si cela correspondra à l'attente de l'assemblée, mais toujours, jusqu'ici, le retour est positif. Inspiration, travail intérieur de l'Esprit Saint ?
Quant à l'Eglise, nulle part il n'en est question dans les évangiles sauf une seule fois (''Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise'' – évangile de Matthieu au chapitre 16 verset 18)) Mais cet évangile est tardif et ces paroles n'ont pu être prononcées par Jésus lui-même. En effet, le terme Eglise est étranger à la culture juive et à la langue hébraïque. De plus, il semble bien que Jésus n'ait jamais eu l'intention de créer une nouvelle religion qui se séparerait du judaïsme. Il était juif et entendait le rester (''Je ne suis pas venu abroger la Loi de Moïse mais l'accomplir''- évangile de Matthieu au chapitre 5 verset 17). Le prêcheur galiléen et maître de sagesse au charisme indéniable n'a fait que s'attacher des disciples comme d'autres avant lui et d'autres après lui. De fait, en son temps, il incarnait simplement un des nombreux ''courants'' du judaïsme, comme les courants de pensée dans nos partis politiques, visant à épurer et à purifier la foi juive pour l'amener à son achèvement, un ''réformateur'' en quelque sorte, le Martin Luther de l'époque pourrait-on dire.
Dans les premiers temps de '''l'Eglise'', après sa mort, ce courant était appelé ''la voie''(Saul, ne respirant toujours que menaces et carnage à l’égard des disciples du Seigneur, alla trouver le grand prêtre et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait quelques adeptes de la Voie, hommes ou femmes, il les amenât enchaînés à Jérusalem - Livre des Actes au chapitre 9 versets 1 et 2) plus tard apparut l'appellation ''les chrétiens'' (C’est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de chrétiens. - Livre des Actes au chapitre 11 verset 26), dénomination qui nous est restée. Ce sont ses disciples, et surtout un certain Paul de Tarse, qui d'ailleurs ne l'a jamais connu, ni rencontré, ni a fortiori écouté de son vivant, qui ont fondé des communautés dans la diaspora juive, en Asie Mineure, l'actuelle Turquie, en Grèce et jusqu'à Rome. Finalement ce furent les empereurs romains à partir de Constantin au IVème siècle qui organisèrent l'Eglise en calquant son administration sur celle de l'empire, ainsi les ''diocèses'' qui désignaient une subdivision territoriale de l'empire romain désignent encore actuellement le territoire des évêques dans l'Eglise catholique. Si Jésus était revenu sur terre des siècles plus tard, il n'aurait sûrement pas reconnu dans cette organisation politico-religieuse son mouvement de renaissance du judaïsme, lui qui avait dit : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! (cf l'évangile de Luc au chapitre 20 verset 25) Par contre, je crois en l'Eglise formée de l'ensemble des croyants sincères en Jésus et en son message, formée aussi de tous les hommes et de toutes les femmes dits ''de bonne volonté'', c'est-à-dire dont la volonté est orientée vers ce qui est bien, qui œuvrent sur terre au bien-être de tous dans un esprit de fraternité et d'amour, de justice et de paix, quelle que soient leurs convictions philosophiques ou religieuses.
Je ne crois pas en la ''résurrection de la chair''. Où irions-nous donc, nous tous, les hommes et femmes du temps passé, présent et à venir ? Et si l'on nous parle de ''corps spirituels'', comment concevoir cela ? Comment un corps, matériel par définition, peut-il être spirituel, éthéré ? Est-ce que je crois en ''la vie éternelle'' ? Difficile de me prononcer sur ce point. Je regrette profondément que ma Cécile tant aimée m'ait quitté pour ''l'autre monde'' et mon plus cher désir est de la retrouver d'une manière ou d'une autre, où, quand, comment, je ne sais. Mais peut-être ce désir est-il illusoire et dois-je me contenter de lui rester uni en pensée, qu'elle continue à vivre dans mon souvenir (mon fils aîné m'a éclairé sur ce point) à chaque instant de mon existence jusqu'à ce que moi-même je fasse le grand saut vers l'éternité - ou dans le néant - pour rejoindre le Grand Tout comme dit mon aîné ?
Pour ce qui est du ''merveilleux'' véhiculé par les évangiles de l'enfance, des miracles, des exorcismes, des prodiges et des résurrections opérées par Jésus devenu adulte, et ce, uniquement durant les quelques années où il a sillonné les routes, je ne vois dans ces récits que des moyens pédagogiques pour présenter aux populations juives de la diaspora et gréco-romaines, l'enseignement de Jésus sur la vie en Dieu, la conversion des cœurs, la victoire sur le mal, et l'infinie tendresse d'un Dieu qui nous aime tels que nous sommes. Le tout inspiré de l'Ancien Testament, avec ses propres récits de miracles, de guérisons, de multiplication de nourriture, d'eau vive sortant d'un rocher, d'engendrement chez des femmes âgées ou stériles, et de résurrections. Cf l'ouvrage très éclairant et très documenté de l'américain John Shelby Spong, évêque épiscopalien, ''Jésus-Christ pour le XXIème siècle'' aux éditions Karthala.
Dans cette énumération ne figurent évidemment pas les dispositions disciplinaires de l'Eglise catholique concernant la morale sexuelle et le célibat ''consacré'' puisqu'il ne s'agit ici que de ''la doctrine'' à laquelle je me réfère quand je prêche au temple, en essayant de ne pas en dévier et d'énoncer des ''vérités'' auxquelles je ne crois plus. C'est actuellement le ''corpus doctrinal'' qui me reste de mon éducation religieuse et de mon activité sacerdotale, moi qui ai été prêtre une dizaine d'année avant de me marier. C'est pour moi ce qui rend le mieux compte actuellement de ce que je suis, de ma conception de la vie et de ma relation à autrui. C'est aussi ce qui m'a nourri depuis mon enfance. Cependant, comme je le dis de façon récurrente, ces ''vérités de foi'' ne sont pas pour moi des certitudes absolues, mais j'espère profondément qu'elles soient fondées car elles balisent ma route, donnent sens à ma vie et contribuent à ma joie de vivre. Et si elles s'avèrent un jour illusoires à mes yeux, elles m'auront malgré tout procuré beaucoup de joie et de bonheur dans l'existence. On pourra m'objecter que c'est ''la méthode Coué'', peut-être et j'en suis parfaitement conscient, mais en attendant cela me fait vivre, et bien vivre.
Voilà où j'en suis, chère amie par rapport à ''la doctrine'', un terme qui ne me plaît guère, disons plutôt par rapport à la foi chrétienne. Passe une bonne journée, en espérant que tu ne souffres pas trop de la chaleur. Je t'embrasse bien. Ton ami Jean.