Lettre à une amie au nouvel an 2017, toujours d'actualité
Chère amie
Depuis que nous nous sommes rencontrés et que tu m'as confié ton homosexualité, j'ai souhaité prolonger cet échange rapide en te disant pourquoi et comment je considère avec respect et compréhension le fait d'aimer une personne du même sexe, en dehors de ce qu'il est convenu d'appeler ''la norme'', comme si, en matière d'amour entre personnes, le genre humain se partageait entre gens normaux et anormaux.
J'ai senti chez toi une certaine souffrance due au fait que tu ne te sentais pas vraiment acceptée telle que tu es au sein de ta propre famille, et en porte à faux avec l'Eglise. Tu as pu constater par contre combien mon fils que tu apprécies, était aimé sans réserve par ses frères, sa belle-sœur et par moi-même, aimé pour lui-même indépendamment de son orientation sexuelle. Cela tient sans doute au fait que sa maman et moi avons vécu nous-mêmes un amour ''hors norme'', j'avais 18 ans de plus qu'elle, et j'étais prêtre et ami de la famille. Mais nous avons tenu bon, contre vents et marées, pour faire accepter cet amour, le vivre au grand jour, et le voir s'épanouir en transmettant la vie et de vraies valeurs à nos fils.
L'expérience conjugale que nous avons vécue m'a fait comprendre de l'intérieur qu'aucun amour n'est hors-norme, ni anormal a fortiori, lorsqu'il s'agit d'un véritable amour, avec sa dimension de tendresse et d'oblation, l'offrande réciproque de soi à l'autre, la recherche réciproque de l'épanouissement de l'autre. Que cet amour soit homo ou hétéro sexuel ne change rien à l'affaire. L'amour unit deux personnes et ne se réduit pas à sa dimension sexuelle, même si c'en est une composante essentielle puisqu'elle concrétise l'union des deux amants. Les termes hétérosexuel et homosexuel sont réducteurs. Ils ne tiennent compte ni de la totalité de la personne, ni de l'ensemble des composantes de l'amour interpersonnel, en particulier de la tendresse, présente dès le début de la rencontre et qui demeure toujours aussi vive, et même peut-être plus, quand le corps vieillit, sans impacter l'amour pour autant. Il n'est que de voir des personnes âgées se promenant main dans la main.
La psychologie nous apprend qu'homme ou femme, nous avons tous en nous à des degrés divers et plus ou moins marqués une part masculine et une part féminine, ce qui peut expliquer pour une part l'amour entre deux hommes ou entre deux femmes. Je dis bien pour une part car l'amour est le fruit d'une alchimie mystérieuse qu'on ne pourra jamais mettre en équation. J'aime beaucoup ''l'explication'' de Montaigne évoquant le lien qui l'unissait à La Boétie : ''Parce que c'était lui, parce que c'était moi !''
Cet amour, encore entaché d'opprobre chez certains, commence cependant à être reconnu. Je pense qu'il a toujours existé dès qu'est apparue l'humanité, accepté et même reconnu dans certaines civilisations, condamné dans d'autres, notamment par la religion chrétienne dans la lignée du judaïsme, bien que le Christ n'en ait jamais parlé. L'amour entre deux personnes de même sexe a acquis droit de cité dans notre législation avec ''le mariage pour tous'', mais ce n'est pas encore accepté dans toutes les mentalités. Dans un synode national récent, l'Eglise Protestante Unie de France, à laquelle j'adhère, a même ouvert la possibilité de bénédiction cultuelle (le mariage chez nous n'étant pas un sacrement) d'un mariage entre deux personnes de même sexe.
Les auteurs bibliques l'affirment et Jésus de Nazareth à leur suite le proclame dans son évangile : Dieu est amour, et tout amour véritable vient de lui. Il nous a créé ''à son image'' c'est-à-dire capables d'aimer et faits pour aimer. C'est cette conviction de foi qui m'a permis, après une année de lutte intérieure d'accepter l'amour qui se présentait à moi et contre lequel se débattait également la jeune fille qui m'avait déclaré son amour, très croyante elle aussi. Finalement nous avons rendu les armes. Notre amour avait tenu bon, il était vrai et solide, il ne pouvait donc offenser Dieu, et nous nous sommes unis pour la vie sans renier le Dieu de Jésus-Christ auquel nous croyions, et que nous avons continué à servir ensemble fidèlement dans l'Eglise Catholique, puis, six ans après son décès, dans l'Eglise Protestante Unie de France pour ma part.
Je tenais à t'entretenir de tout cela car j'imagine que tu ne connais personne d'autre autour de toi qui puisse te proposer cet éclairage de foi sur la situation qui est la tienne. Si tu ne te sens pas toujours en paix avec ton entourage, sache que tu peux être en paix avec Dieu. J'aime beaucoup cette parole d'Augustin d'Hippone (Saint Augustin dans le catholicisme) : ''Ama et fac quod vis'' Aime (vraiment cela va sans dire) et fais ce que tu veux (car cela ne saurait qu'être bon).
Sur ce je te souhaite une heureuse année 2017 avec celle que tu aimes et tous ceux qui comptent pour toi et je t'embrasse fraternellement. Jean.