Dans des notes précédentes il m'est arrivé d'évoquer la distorsion qui existe entre l'Eglise catholique romaine et l'Evangile. Je connais plusieurs personnes qui, en fonction de cette dichotomie, ont pris leurs distances avec l'Eglise de leur enfance. Certaines d'entre elles se sont ralliées au protestantisme réformé. J'en fais partie. Ils y ont trouvé un enracinement biblique solide, satisfaisant pour l'intelligence, scrutant les Ecritures suivant la méthode historico-critique, une vision positive de l'humanité prise dans toutes ses dimensions, intellectuelle et affective, physique et environnementale. Exit la défiance vis à vis de la sexualité, la frilosité - encore qu'avec une certaine prudence toutefois - vis à vis des questions sociétales qui émergent de nos jours : union entre personnes du même sexe, procréation médicalement assistée, et euthanasie entre autres. Le divorce est admis. L'eucharistie avec la sacralisation de l'hostie et du vin consacrés font place à la sainte cène repas fraternel et symbolique faisant mémoire du Seigneur Jésus. Exit donc la magie de la ''présence réelle'' et l'adoration révérencielle de l'hostie consacrée.
Cependant, même dans sa mouvance protestante réformée, l'Eglise reste une institution humaine transitoire dont le but est d'accompagner hommes et femmes dans leur volonté d'adéquation à ce que le Dieu Père attend d'eux, en mettant leurs pas dans ceux du Christ Jésus. Selon la foi chrétienne, au-delà de cette vie terrestre l'Eglise disparaîtra faisant place au ''Royaume'' qui réunira toue l'humanité réconciliée entre elle et avec elle-même autour du Dieu Créateur de l'univers. En tant qu'institution humaine, l'Eglise n'est pas exempte des imperfections inhérentes à la nature humaine. Ainsi, des catholiques épris de vérité et de fraternité, ont retrouvé, dans les rapports entre les équipes se consacrant aux diverses activités communautaires et entre les personnes au sein de ces équipes, les mêmes tensions que dans les paroisses catholiques. Pour certains, ces tensions ont amené un éloignement et pour d'autres une rupture avec leur nouvelle appartenance chrétienne.
Que reste-t-il alors ? Une grande désillusion, l'impression d'avoir été floué, trompé, la prise de conscience de l'écart entre les paroles et les actes ; mais en même temps l'attachement à la morale évangélique, à la beauté et à la grandeur des enseignements du prêcheur galiléen, fidèle au judaïsme de son enfance et de sa jeunesse, mais le purifiant et l'élargissant aux dimension du monde, au-delà des frontières du judaïsme. Alors, le christianisme sans l'Eglise ? Est-ce un choix possible ? Evangile vs Eglise ? Vivre l'évangile comme tel, individuellement, tout en étant inséré dans la communauté humaine par des engagements politiques, sociaux, ou associatif ? J'en reviens au ''christianisme sans religion'', déjà évoqué à propos de Dietrich Bonhoeffer, mais que je dois encore creuser.
Une question existentielle m'a été posée, je cite : « L'évangélisme n'est-il pas un angélisme naïf qui permet aux dominants de manipuler les plus faibles en valorisant ce que Nietzsche appelait "la morale des faibles" ? » En quoi la morale prêchée et vécue par Jésus de Nazareth, a-t-elle une valeur quelconque dans la mesure où cela a abouti pour lui à une condamnation pour trouble à l'ordre public et à une mort sans gloire sur une croix, parmi d'autres condamnés de droit commun. On pourra toujours dire que cette mort, passée quasi inaperçue à son époque (quelques mentions indirectes dans des écrits historiques), a trouvé sens dans sa ''Résurrection'', encore faut-il comprendre ce que la foi chrétienne entend par là, et y croire. A cette question mon interlocutrice apporte d'elle-même un élément de réponse : « Martin Luther King... a réussi à faire de la non-violence une arme puissante et efficace. S'il y a une résurrection et une victoire du Christ, elle est là ! »
Cette amie fait maintenant profession d'hédonisme. « A titre personnel, je préfère me concentrer sur le présent. "Carpe diem''... et, ma foi, je retrouve ainsi le goût de la vie et, Dieu merci, je la savoure enfin pleinement ! La contemplation de la nature, les bons repas et la vie au milieu de mes animaux et de mes plantes me procurent un bien-être qui ne demandent pas de "donner un sens" à ma vie. Je vis à présent pour la simple joie de vivre... Cet hédonisme se laisse néanmoins volontiers déranger par la souffrance d'autrui. » Si Dieu a créé le genre humain pour qu'il soit à sa ressemblance, fait pour aimer dans toutes les dimensions humaines, alors l'hédonisme comme toute philosophie humaniste, intégrant également la morale évangélique, ne peut que lui être ''agréable'', au sens étymologique du terme pour utiliser un vocabulaire religieux.
D'autres, très critiques vis à vis de leur ancienne Eglise, ont coupé les ponts en se tournant résolument vers un humanisme universel et une morale laïque rigoureuse, voire sourcilleuse, se défiant de toute ingérence religieuse dans le domaine civil. Certains avec beaucoup d'amertume au cœur comme cet ancien prêtre profondément déçu dans son idéal missionnaire contrecarré par une hiérarchie réactionnaire. D'autres, sans état d'âme, ayant joyeusement largué les amarres, comme cet autre ex-prêtre qui tourne résolument le dos à son passé religieux pour s'avancer au large avec son épouse parmi ses frères en humanité.
Evangile et/ou Eglise ? Foi et/ou Religion ? Des questions à vivre...